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Utopies et possibles insoupçonnés : Enquêter des traces, diversifier les objets, réviser les catégories ?

 

Plusieurs objets en sciences sociales sont désormais traités à la lumière de déclinaisons conceptuelles du futur désirable : « possibles » (Guegen et Jeanpierre 2022), « utopies » désormais « réelles » (Wright 2017) ou à dimension « réelle » (Lallement, Riot-Sarcey, et Muller 2020), « sociologie du futur” (Suckert 2022) ou « anthropologie du futur » (Appadurai 2013), « espaces d’espoirs » (Harvey 2000), « utopies ordinaires » (Cooper 2014), etc. Ces approches ont en commun de considérer, à la suite des travaux de Ernst Bloch, que certains traits utopiques existent déjà dans le réel et qu’ils méritent par conséquent des enquêtes de terrain. Sous forme de mobilisation infrapolitique, l’utopie peut par exemple constituer une véritable pratique générative (Maskens et Llera Blanes 2018) car il s’agit alors d’une contingence que l’on peut s’efforcer de faire advenir. Plus avant qu’une situation établie, l’utopie et le possible se traduisent par un état d’esprit ou un mouvement en avant à partir d’un réel inachevé, et d’un futur indéterminé (Bloch 1976, 236), par une « brèche expérimentale » vers la liberté et l’émancipation (Riot-Sarcey 2023, 40). Partant de ces riches travaux qui ont donné corps aux notions d’utopie et de possible, nous poursuivons la réflexion en y intégrant le constat selon lequel peu de recherches sur les utopies s'intéressent à leur expression dans des espaces et chez des populations où elles ne sont ni énoncées, ni annoncées, ni attendues (El Miri et Bajard, à paraitre 2024). 

D’abord, parce que les utopies sont aujourd’hui largement étudiées par le prisme des initiatives identifiées et pensées comme telles par les personnes qui les investissent, créant une forte adéquation entre les labellisations indigènes des « utopies » et leur catégorisation par les sciences sociales ; ensuite, parce que les sciences sociales n’ont pas toujours vu ou entendu la parole de celles et ceux qui ont porté ces utopies. La sociologie, notamment, a conçu essentiellement les anticipations de l’avenir à travers un prisme indexant les espérances sur les capacités ou les capitaux, supposés des populations à espérer, comme s’il se jouait toujours un effet de pesanteur intellectuelle marqué par l’idée que les espérances des plus dominés ne pouvaient déboucher que sur leur désillusion, « frustration » (Bourdieu 1977) ou « souffrance » (Sayad 1999). A rebours de cette « négation/relégation » des espérances et des utopies des petits (Abensour, 1982), de celles et ceux qui font concrètement l’histoire comme l’indique Riot-Sarcey, ce séminaire propose de questionner la pluralité de leurs expressions inattendue ou insoupçonnée et leurs effets sur le dévoilement de l’ordre existant. 

Nous proposons de déployer ce questionnement dans une perspective alliant à chaque fois théorie, méthode et empirie, ce séminaire s’inscrit ainsi dans une triple optique : 

  • Résolument empirique, prenant appui sur des enquêtes de terrain où les utopies concrètes et les possibles ne se déploient pas seulement à l’état spéculatif ou sous forme idéelle, mais où ils constituent des dimensions observables de la vie sociale donnant à voir « l’acte d’espérer ». 
  • Axée sur des espaces où ils sont insoupçonnés et non questionnés, secrets et peu visibles. L’enjeu est donc d’en identifier les « traces », « indices » et « signes marginaux » grâce à un décalage du regard (Ginzburg 1980).
  • Vigilante théoriquement, afin de faire des « utopies » et des « possibles » une armature analytique à interroger, tout en évitant le détournement de ces termes alors réduits à des signifiants flottants ou à des notions à la mode, appliqués à un contexte empirique peu interrogé.

En localisant des utopies concrètes dans ces espaces et configurations peu attendus, nous souhaiterions ouvrir un chantier de recherche visant à documenter ces expériences dans leurs dimensions plurielles, interstitielles et qui s’expriment auprès des populations pensées comme en étant les plus éloignées, souvent sous deux formes : des utopies et possibles que les acteurs·trices tiennent secrets, pour des raisons choisies ou par contrainte ; des espaces inattendus où ils se déploient, là où les sciences sociales ont en partie refermé la porte. 

 

Pour accéder à l'argumentaire intégral : Flora Bajard, Mustapha El Miri. Enquêter des traces, diversifier les objets, réviser les catégories ? Séminaire Utopies et possibles insoupçonnés, Mai 2024, Aix-en-provence, France. https://hal.science/hal-04437678

 

“Demain s’ouvre au pied de biche”, Graffiti sur un mur d’Arles, France, juillet 2023, réalisé par Grünnif (https://www.instagram.com/grunnif/)
“Demain s’ouvre au pied de biche”, Graffiti sur un mur d’Arles, France, juillet 2023, réalisé par Grünnif (https://www.instagram.com/grunnif/)

 

 

Séminaire coordonné par Flora Bajard (Chargée de recherches, LEST-CNRS) et Mustapha El Miri (Maître de conférences, AMU-LEST)

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