Après son arrivée au LEST et suite à ses travaux sur le sens et les styles de vie associés au travail artistique et artisanal indépendant, menés pendant une dizaine d’années, Flora Bajard, chargée de recherche CNRS, a travaillé sur les zones grises de l'emploi entre l'indépendance et le salariat. Pour cela elle a pris pour objet les Coopératives d'Activité et d'Emploi (CAE), des structures particulières au sein de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). Elle s'est intéressée aux subjectivités qui se déploient dans ces mondes du travail et à leurs conséquences épistémiques pour les sciences sociales, en particulier du point de vue des catégories d’analyses traditionnellement utilisées et des outils méthodologiques nécessaires pour aborder la complexité de ces zones grises du travail et de l'emploi. Des premiers résultats avaient par exemple déjà été présentés (revue Frontiers of Sociology 2020).
Flora nous parle plus en détail de sa recherche.
"J'ai collaboré étroitement avec Maya Leclercq, socioanthropologue praticienne, membre associée du LEST et fondatrice du bureau d'études Sociotopie basé à Lille (hébergé en CAE puis devenu une SCOP). A travers des méthodes d'enquête qualitatives (pour certaines originales et issues de mes travaux), nous avons produit une étude approfondie sur le travail en les CAE dans le cadre d'un projet porté par le LEST et financé par la DARES-DREES, mettant en évidence la diversité et la subtilité des appropriations de certaines caractéristiques organisationnelles de l’ESS, qu'il s'agisse de la protection sociale, du non-recours aux droits, des principes coopératifs ou des outils de formation offerts dans ce cadre" [Le Rapport est disponible, ainsi que quelques-uns des principaux résultats dans cette interview publiée dans la Revue Française des Affaires Sociales en 2022].
"Avec Maya, nous avons également analysés des enjeux spécifiques comme ceux de l'émancipation dans un cadre entrepreneurial. De ce travail commun, d'autres thématiques ont enfin pu découler, telle la formation des entrepreneur·es dans et par le cadre coopératif, ou encore l'incubation et transformation des activités économiques au sein des CAE vers des activités autonomes en SCOP. Maya s'est spécialisée tout particulièrement sur ce thème, en tant qu’analyste et actrice de ces questions au sein de son propre écosystème professionnel. Ces sujets sont au cœur de réflexions menées dans le monde de l’ESS et c’est pourquoi, par-delà les revues scientifiques, nous avons choisi de diffuser nos travaux plus largement via des supports de culture scientifique en 2023 et en 2024.
A trois, en collaboration avec Lucas van Melle (alors également salarié-associé de Sociotopie), nous avons mis en place une démarche de recherche-action : nos propres travaux ont été utilisés et mis à l'épreuve par une mise en discussion avec des professionnel·les issu·es du monde des CAE lors de journées qui se sont tenues au LEST en 2021. Ce parti pris a permis, de façon dialectique, la production de nouveaux matériaux empiriques originaux, doublés d'une capacité d'appropriation et d'usage des savoirs scientifiques par des acteurs·trices non-académiques" [Le Rapport est disponible].
Flora Bajard poursuit aujourd'hui des réflexions d'ordre épistémologique liées à l'élaboration de nouvelles catégories d'analyse, mais aussi à l'utilisation d'outils méthodologiques adéquats pour traduire les réalités empiriques de ces mondes du travail indépendant et la densité ethnographique de ces situations, étudiées depuis sa thèse sur le travail et le style de vie des céramistes d'art en France (2014). Plusieurs de ces réflexions transversales sur les formes utopiques et alternatives de travail indépendant ont été présentées dans des séminaires (en 2023 et en 2024) et font désormais l'objet de publications en préparation. Ces propositions épistémologiques visent à comprendre ces réalités professionnelles d'un point de vue pluridimensionnel et au-delà des seules situations d'emploi :
"il s'agit également de rendre justice à la centralité du travail dans les trajectoires de vie, mais aussi d'exposer l'importance de s'en déporter pour comprendre la subordination de celui-ci à des enjeux plus vastes : plus qu'une fin, le travail est en effet aussi un espace intermédiaire dans lequel se déploient des quêtes de réalisations existentielles et politiques, si l'on entend ce terme au sens anthropologique, c'est-à-dire en tant que construction d'un rapport au monde ou positionnement de soi au sein de ses structures et de ses lignes de clivages".
[Image : Emancipation by Nick Youngson CC BY-SA 3.0 Pix4free]
Flora Bajard
JEM - Jeunesses, Éducations, Mobilités COT - Changements, Organisations, Transitions Chargée de Recherche - Centre National de la Recherche Scientifique- Conseillère de laboratoire
Maya Leclercq
Chercheuse contractuelle - Institut de recherche pour le développementSociologie Anthropologie