Thèse de Pauline Sabuco

ED355 Espaces Cultures Sociétés

L’École de la Deuxième Chance à l'épreuve des parcours des jeunes : 20 ans d'interactions entre biographies individuelles et dynamique institutionnelle (Marseille, 1995-2016)

par Pauline Sabuco

Sous la direction de Eric Verdier LEST - CNRS & Patrick Perez LEST - amU

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En cours 
Financement : Région / collectivité territoriale

Résumé

Dans un contexte de forte évolution de l’accompagnement des jeunes sans diplôme, cette thèse propose d’étudier un dispositif particulier : l’École de la Deuxième Chance (E2C). L’École de la Deuxième Chance est née du livre blanc « Enseigner et apprendre, vers une société cognitive », porté à la Commission Européenne par Edith Cresson en 1995. Sa première École-pilote, celle que nous étudions, est implantée à Marseille en 1998. Elle accueille des jeunes décrocheurs scolaires de 16 à 25 ans pour une durée variant de quelques semaines à 1 an, afin de leur proposer une remise à niveau dans les savoirs du « socle de base », et un accompagnement professionnel via l’alternance. L’objectif est d’orienter les jeunes stagiaires vers une sortie dite « positive » : l’emploi ou la formation qualifiante. Non diplômant, ce dispositif est une étape de raccrochage dans le parcours de jeunes. D’une initiative expérimentale accueillant moins de 100 jeunes par ans, le réseau national des E2C qui s’est construit intègre aujourd’hui plus de 15 000 jeunes par ans dans près de 150 établissements en France. 
A partir d’un travail en méthode mixtes (qualitatives et quantitatives), nous avons réalisé une analyse multi-niveaux d’une de ces Écoles. En nous appuyant sur des entretiens, archives et statistiques internes, nous avons dans un premier temps retracé la socio-histoire de l’E2C de Marseille selon 4 niveaux. Premièrement, il s’agissait de celui du cadre des politiques publiques d’emploi et de jeunesse en perpétuelle évolution et auquel elle doit s’adapter. Deuxièmement, nous nous sommes attardés sur son développement en tant qu’organisation locale dont l’échelle ne cesse de grandir. Troisièmement, nous avons analysé les discours et pratiques des professionnels qui interagissent quotidiennement avec les bénéficiaires. Enfin, le quatrième niveau est celui du public, dont le profil évolue également au fil des années. Ainsi, nous avons pu séquencer le processus organisationnel de l’E2C aboutissant à la construction de différentes cohortes de bénéficiaires. 
Nous procédé dans un second temps à la comparaison des biographies de deux cohortes d’anciens stagiaires. Nous analysons alors comment les parcours des jeunes, pendant et après l’E2C, ont pu être façonnés par l’interaction avec une configuration du dispositif propre à l’époque à laquelle ils l’ont fréquentée. À travers entretiens et questionnaires, nous avons isolé trois rapports à l’E2C (positifs, négatifs et accessoires) en fonction du parcours de vie des enquêtés. Ces rapports sont différenciés par une tension qui sous-tend aussi bien les parcours des jeunes que l’organisation de l’E2C : celle qui oppose rapport à l’emploi et rapport au travail. Le rapport au travail a trait au développement de formes d’épanouissements par l’activité professionnelle : l’accompagnement des jeunes dans ce sens nécessite un travail proche du care de la part de l’E2C. Le rapport à l’emploi, lui, révèle une urgence à entrer sur le marché de l’emploi afin d’obtenir avant tout statut et salaire, dans un rapport instrumental à la vie professionnelle. Celui-ci implique que l’E2C réalise un travail de « coaching », l’éloignant d’un travail pédagogique, relevant plutôt d’un rôle de « prépa emploi ». Au sein de l’E2C comme au sein des parcours des jeunes, ces deux rapports sont en tension, aux prises des contraintes multiples qui pèsent à la fois sur le travail social et sur les opportunités d’une jeunesse populaire peu qualifiée. 


Mots clés : Insertion, formation-emploi, jeunesse NEET, travail social, action publique, méthodes mixtes, sociologie des parcours.

 

Abstract

Against a backdrop of major changes in the way French public policies supports young people with no qualifications, this thesis examines a specific one: the Second Chance School. The Second Chance School is a scheme born of the white paper « Teaching and learning, towards a learning society », submitted to the European Commission by Edith Cresson in 1995. Its first pilot school, the one we are studying, was set up in Marseille in 1998. It takes in young school dropouts aged 16 to 25 for periods ranging from a few weeks to 1 year, offering them a refresher course in basic skills and work-study support. The aim is to guide young trainees towards a “positive” outcome: employment or training leading to a qualification. This non-degree-granting scheme is a way of getting young people back on track. From an experimental initiative involving fewer than 100 young people a year, the national E2C network has grown to include more than 15,000 young people a year in nearly 150 establishments across France. 
Using mixed methods (qualitative and quantitative), we carried out a multi-level analysis of one of these schools. Drawing on interviews, archives, and internal statistics, we began by tracing the socio-history of the Marseille’s E2C on 4 levels. Firstly, the constantly changing public policy framework for employment and youth, to which it must adapt. Secondly, we looked at its development as a local organization on an ever-expanding scale. Thirdly, we analyzed the discourses and practices of the professionals who daily interact with beneficiaries. Finally, the fourth level is that of the public, whose profile also evolves over the years. In this way, we were able to sequence the E2C's organizational process leading to the construction of different cohorts of beneficiaries. 
We then compare the biographies of two cohorts of former E2C’s trainees. We then analyze how the young people's paths, during and after the E2C, may have been shaped by interaction with a configuration of the scheme specific to the period in which they attended it. Through interviews and surveys, we have isolated three rapports to the E2C (positive, negative and incidental) from the respondent’s life courses. These rapports are differentiated by a tension that underlies both the young people's lifepaths and the organization of the E2C: the tension between a relationship to employment and a relationship to work. The relationship to work relates to the development of forms of self-fulfillment through professional activity: accompanying young people in this way requires a care work on the part of the E2C. The relationship with employment, on the other hand, reveals an urgent need to enter the job market to obtain status and salary above all else, in an instrumental rapport to working life. This implies that the E2C performs a “coaching” function, rather than a pedagogical one, which is more akin to a “job preparation” role. These two reports are in tension, both within the E2C and in the young people's career paths, because of the multiple constraints weighing on both social work and the opportunities available to low-skilled working-class youth. 

Key words: Integration, training-employment, NEET youth, social work, public action, mixed methods, sociology of life course.