Thèse de Samantha Vila Masse

ED355 Espaces Cultures Sociétés

Les réactions émotionnelles aux expériences d'injustice dans le secteur de la restauration : ethnographie de trajectoires professionnelles au Québec

par Samantha Vila Masse

Sous la direction de Eric Verdier LEST - CNRS

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Soutenue 

Résumé

Cette thèse de doctorat porte sur les sentiments d'injustice et les réactions émotionnelles des travailleuses·eurs de la restauration au Québec. L'ethnographie menée pendant plus d'un an dans le restaurant Épicure (nom fictif) montre l'intérêt d'une analyse des expériences d'injustice, et, des réactions émotionnelles à ces expériences, qui tienne compte des systèmes organisationnels concrets mis en place, des normes comportementales intégrées (ethos), de la position professionnelle ainsi que des trajectoires personnelles des travailleuses·eurs. L'approche longitudinale entreprise dans cette recherche nous apprend l'instabilité des perceptions ; ce qui est dit à un certain moment peut être contredit à un autre moment par le·la même employé·e parce que le contexte a changé ou en raison de sa loyauté envers l'organisation. Tous ces constats appellent à une diversification des méthodes dans le domaine de la justice organisationnelle, où les approches exclusivement statistiques et transversales sont trop souvent dominantes.

Cette thèse apporte quatre contributions principales : (1) les expériences de justice et les réactions émotionnelles des travailleuses·eurs se configurent autour d’enjeux spécifiques qui varient selon les organisations ; dans le restaurant étudié, trois enjeux ont été dégagés : les systèmes de division et de relation de travail, les systèmes de promotion et les systèmes de rémunération ; (2) Ces trois enjeux renvoient simultanément à plusieurs facettes de justice et à différents critères de dénonciation qui peuvent évoluer dans le temps ; ainsi les perceptions de la justice par les individus sont mieux appréhendées de manière holistique et processuelle et a contrario semblent difficiles à décomposer en dimensions distinctes (distributives, procédurales et interactives) ; (3) C'est au regard d’un ethos de service partagé par les travailleuses·eurs que certaines injustices s'expriment ou au contraire sont masquées ; cet ethos contribue en particulier à atténuer la perception de certaines injustices et à modérer l'expression d'émotions négatives à leur égard ; (4) Face aux injustices, les travailleuses·eurs de la restauration adoptent trois attitudes : un travail de loyauté, pour lesquelles le travail émotionnel joue un rôle central ; des stratégies d’alliances passant par la construction de normes informelles ; et ultimement la défection lorsque les expériences d’injustice se cumulent. Le travail de loyauté ainsi que les stratégies d’alliances témoignent de l’agentivité des travailleuses·eurs dans un contexte organisationnel où la prise de parole est difficile et les normes de distribution des pourboires sont opaques.