La dynamique des grèves et des conflits du travail en France
Le point de vue sociologique
Auteur
Introduction
"La perception dominante des grèves et de la conflictualité au travail est largement prisonnière des représentations médiatiques et politiques qui en sont données. Des débats récurrents sur le service minimum qu’il conviendrait d’organiser dans le secteur public à la sur-médiatisation des conflits du public qui “paralysent” le pays ou de quelques luttes contre la fermeture d’entreprise, surtout lorsqu’elles s’accompagnent de modalités d’action qualifiées de “violentes” (séquestrations, envahissements de CE…), tout converge dans les discours médiatiques et politiques pour figer l’image de la conflictualité au travail autour d’un double présupposé : la grève serait un archaïsme du syndicalisme français, d’autant plus illégitime qu’elle renvoie l’image d’une action “violente” qui ne concernerait plus que les salariés “protégés” du secteur public ou des transports, abusant de leur pouvoir de blocage de l’économie. Partout ailleurs, dans le secteur privé en particulier, les grèves seraient devenues rares, et ne concerneraient plus que des conflits de défense de l’emploi, lorsque les salariés se retrouvent “dos au mur”. Cette évolution est généralement expliquée de deux manières. D’une part, le recours à la grève ne constituerait plus une arme de pression économique efficace, dans le contexte d’un capitalisme de plus en plus financiarisé et mondialisé. En situation de conflit, pour se faire entendre des directions d’entreprise, les syndicats n’auraient d’autres choix que d’externaliser leur combat, via notamment des actions médiatiques. D’autre part, le recours à la grève déclinerait sous l’effet du développement du “dialogue social” dans les entreprises. La “preuve” : d’après les statistiques publiques, le niveau des grèves n’aurait jamais été aussi bas en France, tandis que le nombre d’accords signés dans les entreprises a connu un développement important, surtout depuis les années 1990.
En conclure que les grèves ont disparu et que les relations professionnelles se sont apaisées dans les entreprises du secteur privé relève pourtant d’une interprétation hautement contestable de ces données statistiques. Une analyse plus fine de ces données fait en effet ressortir une image complexe des formes prises par la conflictualité au travail et de l’évolution des usages de la grève. En confrontant les différentes données statistiques disponibles sur les grèves et les conflits du travail, nous verrons dans un premier temps que, depuis les années 1990, on assiste moins à la disparition des grèves dans le privé qu’à leur morcellement et au maintien de formes de conflits collectifs diversifiées. Puis nous montrerons quels sont les facteurs organisationnels et institutionnels qui déterminent les conditions de possibilité de mise en œuvre du droit de grève."