Un dossier coordonné par Ingrid Tucci, Aurélie Peyrin et Marie Plessz (CMH-INRAE) dans la Revue française de sociologie
Ce numéro thématique offre un panorama des méthodes mixtes, soulignant leur pertinence et leur complexité. Il explore les débats théoriques et méthodologiques que soulèvent cette approche méthodologique, et en illustre les défis et les apports de sa mise en œuvre dans la recherche en sciences sociales, particulièrement en France. La combinaison des données et des méthodes quantitatives et qualitatives est une pratique ancienne et bien ancrée en sciences sociales, y compris en sociologie française, bien qu'elle ait été moins formalisée qu'outre-Atlantique. La littérature anglophone a en effet développé un champ spécifique, nommé "Mixed Methods Research" (MMR), structuré autour de discussions et de propositions méthodologiques. Ce numéro thématique consacré propose justement de faire dialoguer la sociologie française avec le champ des MMR.
L’introduction du numéro par les coordinatrices retrace la genèse du champ MMR à la fin des années 1980, initié par des chercheurs de plusieurs disciplines. Ce champ a connu un essor considérable, prenant la forme de publications, de revues spécialisées comme le Journal of Mixed Methods Research (JMMR), et d’associations internationales comme la "Mixed Methods International Research Association" (MMIRA). Plusieurs concepts et débats centraux discutés dans cette littérature anglophone sont présentés dans cette introduction. Les autrices reviennent également sur l'intégration, terme central, qui désigne la manière dont les matériaux, les approches et les résultats quantitatifs et qualitatifs sont articulés tout au long d'une recherche. Sont présentés, également les protocoles servant à guider la conception des recherches mixtes. Ces protocoles, de plus en plus nombreux au fil des années, sont critiqués lorsqu’ils simplifient excessivement la complexité et le caractère évolutif des processus de recherche. Mixer les méthodes et les matériaux requiert de la créativité et de surmonter de nombreux défis, parmi lesquels on peut citer une tendance à mener les analyses séparément, limitant la combinaison effective des données et des résultats ; la nécessité pour les chercheurs de posséder des compétences solides dans les techniques d'analyse appropriées pour chaque type de matériau ; des difficultés pour publier les résultats de protocoles mixtes en raison de la spécialisation des revues et des évaluateur·rices.
Ce numéro comprend également un article cosigné par plusieurs membres du LEST : Claire Bidart, Lorraine Bozouls, Léo Joubert, Elisa Klüger, Patrick Pérez et Ingrid Tucci. Intitulé "Imbriquer les méthodes pour comprendre la dégradation des relations interpersonnelles en temps de crise", l'article utilise des méthodes mixtes pour étudier l'impact des confinements liés à la Covid-19 sur les relations interpersonnelles. Il s'appuie sur l'enquête "La vie en confinement" ("VICO") qui combine deux vagues de questionnaires quantitatifs et des entretiens qualitatifs avec un échantillon imbriqué.
Les six articles composant de ce numéro offrent un retour réflexif sur des recherches mixtes et illustrent la manière dont l'intégration est réalisée en pratique, souvent de manière itérative et non linéaire, avec des allers-retours constants entre les données. Les contributions mettent en évidence la créativité et l'innovation nécessaires pour articuler et faire dialoguer les données, et montrent comment les discordances peuvent stimuler la réflexivité et conduire à la redéfinition des questions de recherche et des catégories d'analyse.